DEPART
Ce siècle avait tracé la moitié de son cours
Et novembre achevait les derniers de ces jours,
Lorsque je m'embarquai sur le port de Marseille,
Certain que dans ma vie dormait une merveille.
Malgré le vent, la pluie, la tempête des flots,
Sur les cirés mouillés des rudes matelots,
Avec le mal de mer et la face blafarde,
Je saluais, transi, la Vierge de la Garde.
Le miracle se fit quand deux journées plus tard,
Sur l'île de Capri je posais mon regard.
Une mer bleu d'azur, sereine et indolente,
Baignait le sable fin des plages de Sorrente,
Et croyant voir partout la robe à Graziella,
Son souvenir chantait dans chaque falbala,
Tandis qu'à l'horizon une chaleur d'étuve
Flottait comme un panache au sommet du Vésuve.
Mon aiguille aimantée s'orientait au bonheur.
Un seul mot suffisait pour dissiper ma peur:
J'étais sur un navire appelé "PROVIDENCE"
Les machines, la nuit, s'activaient en cadence,
J'avais vu sans mourir la baie de Napoli,
Et contourné le feu du rouge Stromboli.
Maintenant je lisais le tranquille message
D'un sillage de lune aux dunes d'un rivage.
Pour éviter le monstre de Charybde et Scylla,
On avait débouché du vin de Marsala,
Et ce philtre magique au Détroit de Messine,
Déjouait les complots de la vague marine.
L'ivresse du zigzag du paquebot moqueur
Avait le don secret de d'égayer notre coeur,
Pour oublier aussi sous un chapeau de pâtre,
Le venin de l'aspic qui piqua Cléopâtre.
Demain de son palais s'ouvrirait le portail,
Quand le soleil se lève en splendide éventail,
Au parfum âcre et doux sortant d'une chibouque,
En volutes de vent sur la frêle felouque.
Demain un nouveau phare indiquera le port
Et le chemin sacré des temples de Louqsor,
Eclaboussant la nuit à vingt lieues à la ronde,
En septième merveille étonnant notre monde...
C'est ainsi qu'arrivant au pays d'Osiris,
Je découvris les bords du fleuve d'Adonis,
Et les cèdres géants vénérés dans la Bible,
Avec au fond du coeur une joie indicible,
Les parfums d'orangers aux vergers de Sidon
Conservent pour toujours ma ferveur de Breton,
Et comme la statue du rocher de la Garde
La Vierge d'Harissa au Liban me regarde.
Yves Cariou - 23 novembre 1950
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